« Le royaume de Dieu est au-dedans de vous » (Luc 17, 21)
« Si tu savais le don de Dieu » (Jean 4, 10)
« Celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jean 11,26)
UN AUTRE DIEU, INTERIEUR ET PERE
Le christianisme idéologique comme tout collectif humain, est « a-spirituel ». Son rôle s’arrête à la « porte étroite » car il ne peut pas, en tant qu’idéologie avoir accès au Royaume intérieur, évangélique et humain ; engendrer un autre homme en lui dévoilant un autre Dieu que le Dieu de puissance et de gloire, établir entre le Dieu de tendresse et l’homme des rapports tout autres est hors de sa portée.
Or Dieu est le bien de « tout homme venant en ce monde », c’est sa raison d’être mais pas le Dieu de l’idéologie car si on transpose Dieu dans le cerveau, en idées sur Dieu, on le tue, on en fait une idole. Alors l’homme devient idolâtre et agit en robot, esclave de la loi et de la lettre. C’est cela la nuit privée d’étoiles car par le chemin de l’idéologie, l’homme n’arrive qu’à la porte de son être : il tourne dans un monde clos, sans trouver de véritable issue à sa recherche, sans apercevoir l’horizon élargi auquel il aspire, il ratiocine, se sclérose peu à peu et perd son souffle de vraie Vie. La Vie, l’expérience, la souffrance vont l’approfondir : les barrages des faux-moi craquent, une lézarde s’ouvre dans les carcans des personnages, les strates mensongères accumulées par les idoles sur son Je authentique se dissolvent sous la poussée d’une invisible puissance : la porte de la caverne où il était prisonnier de lui-même, de ses avoirs, de ses apparences s’ouvre enfin.
« Voici que je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3 /20)
L’homme est ébloui : toutes les réponses à ses attentes s’offrent à son regard intérieur émerveillé. Il n’a pas, en vain, cherché, frappé, demandé. Pour lui, une nouvelle vie commence : « il renaît d’en haut, il peut voir le Royaume de Dieu » (Jean 3/3). Il va alors progressivement quitter l’idolâtrie pour s’acheminer vers la liberté des enfants du Père et atteindre sinon le face à face, du moins le cœur à cœur avec Dieu. C’est le pays des mystiques, le royaume de la communion des spirituels et des saints. Soudain, pour l’homme, tout bascule dans un espace autre. Il a goûté, même si ce n’est que l’espace d’un éclair à l’eau vive seule capable d’étancher sa soif et il n’aura plus jamais soif d’autre chose comme Jésus le promettait à la Samaritaine. Il a touché en lui-même le consistant, émerveillé il a entrevu sa raison d’être. Il a pressenti les réponses à tous les « pourquoi » posés à l’horizon des hommes de toujours et son intelligence irradiée d’une lumière venue d’ailleurs a saisi que la Vérité, seule réponse à la quête insatiable du vrai était à sa portée. L’embrasement soudain, universel et plénier de l’aimer à tous les plans lui a permis d’être brûlé à ce feu qui comble et consume le cœur de l’homme : c’est l’aimer transfiguré par l’infini divin en la personne de Jésus de Nazareth et exprimé par la commune union des spirituels. C’est le point de départ d’une re- naissance qui durera la vie entière, c’est l’ultime finalité de la création.
« Ne t’étonne pas si je t’ai dit :
Il vous faut naître d’en HAUT.
Le Vent souffle où il veut ;
Tu entends sa voix.
Mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». (Jean 3/7-8)
De cette renaissance, Jésus est chemin, il est la porte d’accès au Royaume, à la bergerie. C’est lui qui introduit chaque homme en son propre royaume intérieur. Il est également le berger des nouvelles brebis qui écoutent sa voix, qui ont faim de verts pâturages et d’eau vive.
« Si tu savais le don de Dieu
et qui est Celui qui te dit :
Donne-moi à boire.
C’est toi qui l’en aurais prié
Et il t’aurait donné de l’eau vive » (Jean 4/10)
« Bienheureux ceux qui ont faim et soif d’« amplification divine », de perfection, car l’homme est fait pour Dieu et Dieu a voulu être fait pour l’homme. Ce Dieu est celui dont Jésus est la révélation permanente, offerte à la recherche ardente de l’homme ; c’est le Dieu créateur et Père qui se fait réponses aux attentes existentielles de l’homme. Ces divines réponses sont individuelles, incarnées, faites chair en chacun. Dieu parle à l’homme en répondant à ses aspirations, à ses virtualités, et ne peut lui parler qu’ainsi, le comblant de ses indicibles, de ses ineffables bienfaits. Les réponses de Dieu coïncident aux besoins immuables qui montent des profondeurs de l’homme depuis toujours. « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jean 6/53)
Jésus nous insère dans sa vie spirituelle, il offre en partage à notre liberté ce qu’il est devenu – le Fils, l’homme accompli – sous les intimes motions divines.
Il nous appelle à participer à sa propre expérience divine pour dilater notre humanité de son ferment. C’est de sa Vie, de son Etre, de son expérience qu’il nous communique. C’est de son intériorité – de sa vie spirituelle – conquise sur lui-même dans son union au Père qu’il va progressivement investir l’homme qui veut bien devenir son disciple.
Mais alors pour peu que l’homme écoute l’appel discret de cette présence divine et entrouvre la porte de son cœur, Dieu va déverser à profusion ses bienfaits dans l’homme sous forme de réponses à des attentes existentielles – même non formulées – non des réponses théoriques mais incarnées dans Celui qui affirme « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie ». Ainsi la paternelle tendresse de Dieu est devenue visible, touchable, vivable, « participable », humaine en Jésus. Sa Parole – expression adéquate de sa vie, de ce qu’il est, de ce qu’il fait et de ce qu’il dit – grâce à son Souvenir, à son Corps et à son Sang qui actualisera sa présence humaine au long du temps, Sa Parole témoigne de son humanité filiale transfigurée dans la paternité divine.
Cette paternité divine découverte et explorée par Jésus nous révèle en nos profondeurs secrètes la présence transformante d’un Dieu de tendresse impuissant, patient, discret, éminemment attentif au moindre signe de l’homme. Chacune de ses manifestations est toujours accompagnée d’un état bienheureux qui s’estompe sous les distractions de la vie mais il suffira de quelque présence à soi pour retrouver au profond ce souvenir intact et appelant. Ce Dieu discrètement présent est là pour aider à la propre « auto-recréation » de l’homme sous son intime action. L’accomplissement de l’humanité plénière de chacun sur les pas de Jésus est l’œuvre du Dieu Père.
« En vérité, en vérité, je te le dis,
A moins de naître de nouveau,
Nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jean, 3/3) en lui-même.
Voici quelques notes éparses mais remarquables sur
l’amour-communion dans le couple.
La vie spirituelle n’est pas un état statique mais dynamique et évolutif. Ce n’est pas un état intérieur clos sur lui-même mais ouvert : il se recueille pour le don de lui-même.
L’amour-communion est un bien humain, l’aboutissement de l’amour. C’est son passage à l’état spirituel. Comme tout bien humain, comme toute recherche spirituelle dont il représente un aspect, il est la phase supérieure de l’unité et de la communion entre humains. Il en suit nécessairement le rythme évolutif, ses flux et ses reflux. Les temps obscurs qui permettent son renouveau suivent les cadences de nuit et de lumière de l’union à Dieu. Union à Dieu et amour-communion sont si intimement fondus qu’ils épousent les même cadences. Mais ils sont rarement simultanés chez les deux époux, ce qui permet qu’alternativement les lumières de l’un éclairent les ténèbres de l’autre. Les temps de commune lumière qui sont au bout d’une longue route commune sont les merveilles des merveilles.
Avancée dans l’union et avancée dans la communion sont une seule et même chose. Désormais ce processus unique au double visage, à la fois alternatif et simultané, sera à sens unique : l’avancée progressive vers l’unité, unité du couple et unité des deux en Dieu.